Comité Culturel – Dans l’ombre de la pandémie

07 mars 2021

Je suis photographe. Je passe mon temps à regarder, à voir le monde qui m’entoure… autrement. Les débuts de la pandémie m’ont vu me retirer dans mes terres, au bord de mon lac. Mon regard a semblé s’éteindre pendant un moment. J’avais tout de même des projets sous la main : Solstice, une monographie de plus de 300 pages sur mes 40 ans de production photographique. La sortie a été retardée de quelques mois. Ce livre, prévu pour le mois de mai, est finalement paru pour l’exposition rétrospective Dans les années… à la galerie d’art Antoine-Sirois de l’Université de Sherbrooke en septembre 2020. Avec Sherbrooke en zone orange, l’exposition a pu se tenir en temps et lieu et même avoir son vernissage. J’ai été très chanceux. Certains de mes collègues l’ont été malheureusement un peu moins. Beaucoup d’expositions ont été annulées ou reportées.

 

Avec tous les musées et les galeries fermés, j’ai réalisé à quel point la présence physique de l’art dans ma vie est importante. Ces lieux, où je retrouve aussi souvent mes collègues, sont sans aucun doute sécurisés. La proximité n’y est pas la même que dans les théâtres ou les cinémas. C’est fort dommage qu’on ait mis tant de temps à les rouvrir. La présence de l’art, sur les murs, sur une scène ou sur grand écran, est une nourriture essentielle pour l’esprit. De toute évidence, la télévision ne peut pas combler tous ces manques.

J’ai cherché à rester occupé et j’ai pratiqué l’oisiveté. J’ai écrit des projets pour l’avenir. À l’ombre de la pandémie, dans mon atelier, j’ai entrepris de regarder dans le rétroviseur. Pendant ce long temps d’arrêt, où voyages et déplacements sont devenus impossibles, j’ai entrepris toute une série d’impressions sur papier d’images inédites, tirées de projets jusque-là restés en jachère. J’ai aussi entrepris une séquence de parutions quotidiennes de ces images sur les réseaux sociaux. Cette présence virtuelle auprès de ceux qui suivent mon travail m’a permis de réévaluer mes choix passés. Or, les réseaux sociaux n’ont pas comblé tous les manques.

Au début de la pandémie, tout juste rentré d’un long séjour en Angleterre, le choc a tout de même été important. Or, les choses étant ce qu’elles sont devenues partout, je me suis trouvé chanceux. Le fait de vivre en pleine campagne s’est avéré salutaire. Le temps semblait s’écouler autrement. J’ai profité de l’espace, de la lumière. Étonnement, j’ai mis du temps à me remettre à la lecture. Ma concentration était défaillante. Mon regard s’est alors tourné vers des choses nouvelles, fragiles et éphémères. J’ai regardé passer les saisons, la lumière qui module tout, j’ai photographié les étoiles, le lac et la montagne.

Loin de tout et de tous, marqué par la peur, épuisé par des rencontres sur Zoom, en manque de contacts sociaux, prisonnier de la maison, je demeure accablé par les mauvaises nouvelles, d’où elles viennent. Je constate encore l’angoisse de certains et l’ennui des autres. 

J’ai retrouvé mon salut dans une nouvelle proximité avec celle que j’aime. Habitués à nos voyages et à nos absences fréquentes, jamais n’avions-nous été aussi près, aussi longtemps ensemble. Ce fut une sorte de redécouverte de l’Autre, face à face, sans masque. Peut-être est-ce là ma véritable épiphanie de la pandémie. 

 

Par Bertrand Carrière